ITINÉRAIRE A TRAVERS LA CORSE DU XIXème SIÈCLE ...BASTIA
Mieux vaut trop de liberté que de connivence
1869
A cette époque, revêtu d'un sarrau (vêtement commode et léger), coiffé d'un grand chapeau à larges bords, chaussé de forts souliers retenus par des guêtres de cuir et armés de pointes acérées, l'héroïque aventurier désireux de rompre avec la mode en cours, se dirige vers et à travers un pays quasi inconnu... LA CORSE.
C'est une aventure de relier Bastia à Ajaccio : il faut quitter Bastia à 12 heures pour entrer dans Mezzavia vers 19 heures le lendemain!
Dire que nos fougueux conducteurs menant des bolides aux chevaux rugissants trouvent actuellement épouvantable d'accomplir le même trajet en un peu plus de 2 heures.
Mais notre aventurier est convaincu qu'un jour viendra ou la mode exigera que tout homme bien né se devra d'avoir visité la Corse. Pour lui donner raison prémonitoire quel parfum d'exotisme est souvent associé à la Corse et point n'est besoin d'être bien né pour partager ce parfum d'aventure aux fragrances si différentes. Quant aux visiteurs de marque, de passage ou établis, il n'en manque guère. L'empreinte laissée par leur passage laisse quelques fois perplexe.
Cette année là, notre héroïque aventurier se retrouve d'abord à Bastia après une traversée rapide telle qu'on la conçoit de nos jours, bien qu'elle ne permette pas, par tous les temps et tous les jours de réaliser des prouesses, qu'elle s'effectue par les mers ou les airs, discontinuité territoriale, oblige...
...BASTIA
Quand il était arrivé, il y a 130 années par voie maritime obligée (Compagnie Valéry), il avait embarqué à Nice un mercredi à 8 heures du soir. Douze heures après, il avait vu le petit port de Bastia. Gracieusement découpées, maisons anciennes et génoises qui l'entourent lui impriment un cachet d'originalité. Ce port est le plus fréquenté de la Corse, grâce à la proximité de l'Italie et de l'usine de Toga. Les navires y abondent, surtout l'été, chargés de minerai ou de charbon de bois recueilli en Corse ou en Sardaigne. Le surplus de la navigation étant minime et se composant des blés et divers produits de la région que l'on apporte à Marseille. La ville compte environ 20 000 habitants. Elle tend à s'accroître tous les jours. On voyait au XIVème siècle, au fond du port actuel, quelques chétives constructions, des magasins dépendant du village de Cardo, lieu qui s'appelait alors Porto-Cardo. C'est là que les génois construisirent les premières maisons qui ont plus tard formées la ville qu'on appelle encore aujourd'hui Terra Vecchia, par opposition à l'autre partie qui à pris le nom de Terra Nova.
La place Saint Nicolas est la seule qui orne la ville. Elle est grande, sans eau, sans ombre, mais bordée de deux rangées de jolies maisons d'une hauteur démesurée. Au milieu, se dresse une statue colossale en marbre blanc : un Napoléon de Bartolini. Les jeudis et les dimanches il y a de la musique sur cette place; certaines dames y traînent, nonchalamment, des robes à queue qui laissent après elle des sillons dans le sable...
Quelle n'est pas la surprise de notre aventurier de débarquer dans un port où les navires abondent toujours, mais chargés de véhicules à moteur et de nombreux passagers dénommés "touristes",pressés de rejoindre leur destination, et ne s'attardant guère sur le port ni aux alentours.
Il est vrai que cette sortie du port, par temps de grande affluence de la période estivale, lorsque plusieurs bateaux sont à quai en provenance du continent ou d'Italie, n'incite guère à la flânerie bastiaise, laissant ce plaisir aux gens de la ville...Et pourtant, qu'elle est devenue belle cette place Saint Nicolas, lieu de promenades où certains refont le monde ou l'immédiate politique, où d'autres passent en quête de découvertes, où d'autres encore (les plus jeunes) profitent de cet espace de jeux et de liberté. Sans doute notre aventurier y reviendra pour goûter aux joies du farniente.
Ce port, base de départ des européens avides de connaître les délices de cette île que l'on dit si accueillante. Son activité principale est devenue le mouvement des passager et de leurs véhicules. Le surplus de la navigation consistant dans les tentatives d'exportation de denrées agricoles ou manufacturées, quoique le surcoût engendré par le transport maritime, continuité territoriale oblige, fait avorter maintes tentatives et ruiner maints espoirs de développement économique. Mais, qui sait, demain sera meilleur, promesses de politiques ou manne européenne espérée.
Notre ami est abasourdi par une aussi intense activité humaine : Cette sortie du port lui donne le tournis. Aussi se promet-il de revenir plus tard flâner en ville. Pour l'instant il est emporté par le flot de circulation à l'heure où Bastia et ses environs prennent l'allure d'un virevoltant essaim.
P. Saparelli
d'après "itinéraire de la Corse" Léonard de Saint Germain (1869)
Article crée le 24/09/2018 à 10:28